Protégé : RUGBY À 7 – PRENDRE LA LIGNE D’AVANTAGE
Entretien avec Stéphanie Gros, Conseillère Technique Nationale, responsable de l’équipe de France Olympique.
L’équipe de France de Triathlon remporte 2 médailles olympiques (Or : Cassandre Beaugrand, Bronze – Léo Bergère) aux JO PARIS 2024. La jeune et prometteuse Français Emma Lombardi termine à la 4èmeplace. Quant au relais français (Pierre Le Corre, Emma Lombardi, Léo Bergère et Cassandre Beaugrand), il échoue un pied du podium à l’issue d’une énorme remontada, à la suite d’une chute en vélo de Pierre Le Corre.
Le CNEA de Font-Romeu accueille les équipes de France et les meilleurs triathlètes au monde depuis de nombreuses années. Les JO de Tokyo 2021 furent une immense déception pour la délégation française, tant on voyait les triathlètes français monter sur les podiums en Coupe du Monde. Que s’était-il passé ? Les raisons avancées sont multiples : Crise Covid, déplacement à TOKYO tardif, préparation aux efforts à la chaleur et l’humidité insuffisante, manque de communication entre les teams privés et la fédération…
En déplacement sur Font-Romeu en juillet 2023 pour faire le point régulier avec les athlètes de l’équipe de France et leurs entraineurs, nous avons échangé avec Stéphanie Gros, Conseillère Technique Nationale, responsable de l’équipe de France Olympique sur les raisons de cet échec et sur la façon dont il fallait préparer les JO PARIS 2024.
Leur réussite aux JO de PARIS 2024 est le fruit d’une fine analyse de ce qu’il s’est passé ; d’une réflexion sur les conditions d’émergence de la Performance et de la mise en œuvre de modalités d’accompagnement individualisées plus proches des athlètes et des entraîneurs. Bravo à toute l’équipe !
C’est à l’âge de 6 ans que Stéphanie s’est initiée aux plaisirs de la natation au Club de Poissy. Il faut dire que dans la famille, le sport est une religion. Mère, tante, son frère, son Père Philippe, … tout le monde s’y est collé. Et c’est une histoire d’une famille qui a contribué à la création du premier club de triathlon français, cinq ans avant la création de la Fédération Française de Triathlon. Une passion nourrie de l’énergie ensemble entre ami(e)s. Stéphanie sera longtemps le fer de lance de ce club d’excellence qui a marqué le triathlon français au début du troisième millénaire : « C’était une époque où le triathlon commençait à s’organiser dans les clubs mais c’était encore « sauvage », peu structuré, on nageait dans des rivières, les lacs pour retrouver les conditions d’eau libre, les voitures nous suivaient lors de nos sorties en vélo ça me changeait de la pratique de la natation… J’ai de suite aimé m’entraîner en groupe dans ces conditions, entre potes. Il y avait là une émulation positive permanente, au point où je me challengeais en permanence sur les trois disciplines. A l’époque, je voulais toujours en faire plus. Encore et Encore, je n’étais pas stratège. Le manque de confiance me poussait à en faire toujours plus. Je pensais naïvement que c’était la clé de la progression, » se confiera-t-elle à l’issue de sa carrière. Sa représentation de la performance lui demandait d’être performante tous les jours. Injonctions quotidiennes : « A chaque séance, je voulais réaliser ma meilleure séance et taper mes records ». Le travail, la volonté, sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes pour accéder au très haut-niveau. Consciente que son approche l’amènerait tôt ou tard à ses limites, Stéphanie décida de s’expatrier et de se rapprocher de l’australien Brett Sutton ; un coach de champions qui s’est épris du triathlon en 1989 pour créer en Suisse et dans le monde, des structures d’entraînement reconnues.
Plutôt que de considérer que le triathlon comme un assemblage de 3 activités séparées, sa vision était que le triathlon est une discipline à part entière. Malgré des charges et intensités de travail extrêmement lourdes, Brett était vigilant à ce que ses athlètes restent heureux à s’entraîner avec lui : « Le triathlon est un sport difficile qui demande beaucoup d’heures d’entraînement, il est important d’évoluer dans un environnement sain, joyeux, où il fait bon être. On s’entraîne dur, mais on s’amuse aussi. » Un triathlète français de son groupe d’entraînement confirme : « A l’entraînement c’est lui le patron. Il ne laisse pas les athlètes s’écouter. Il a le courage d’appliquer ses convictions. Sutton a un grand charisme, une énergie fantastique, il doit bosser 20 heures par jour, il n’en a jamais assez et sait transmettre cette énergie. ».
C’est par le labeur que l’athlète gagne en confiance. Stéphanie le rejoindra en Suisse, en Espagne puis en Australie. Elle apprendra à son contact qu’il faut s’entraîner dur quotidiennement pour être capable de gérer une épreuve. Là-bas tout était organisé autour de la performance. « En France, la planification quotidienne de l’entraînement était organisée entre les trois repas traditionnels (petit-déjeuner – déjeuner, diner). Cela participe de la culture française. En Australie j’ai appris à vivre différemment, la planification de l’entraînement est première et les repas sont organisés sur les temps de récupération. Ce qui nous amenait à manger plus souvent, en qualité et moins en quantité (parfois 5 repas par jour). »Des modalités d’entraînement qui conviennent bien au caractère de Stéphanie et qui lui permettront de bien progresser. Malheureusement, un accident de voiture mettra prématurément un frein à sa carrière sportive. Blessée, elle ne pourra pas participer aux JO d’Athènes 2004. Son envie de transmission lui fera prendre le chemin de l’entrainement. Sur les conseils de Pascal Choisel, entraîneur national de triathlon, elle passe avec succès le professorat de sport, accompagnée par le sémillant Pierre Salamé en charge de la préparation du professorat de sport au CREPS de Montpellier. Ayant mal vécu les exigences de certains entraîneurs qui lui demandaient de courir en contradiction avec ses préférences naturelles, elle s’ouvrira à la dimension mentale de la performance au travers des « Préférences Motrices ». Par la suite, Stéphanie intègre l’effectif d’entraineurs au sein du pôle France de Montpellier en 2005 puis prends la responsabilité du collectif olympique féminin en 2009 et de l’ensemble du collectif olympique en 2016.
Lors des JO de TOKYO, les médias avaient prématurément annoncé les Français favoris au regard de leurs podiums et ranking sur le circuit championnat du Monde. Cela ne voulait peut-être pas dire grand-chose. On sait que c’est toujours l’événement qui fait la performance. S’avancer sur des chances de médailles lors d’un événement qui n’a pas eu encore lieu, est toujours un peu délicat car cela ne tient pas compte des circonstances.
Nous avions sensibilisé et alerté les athlètes et les entraîneurs concernés en amont des jeux sur l’importance de se préparer au plus près des conditions attendues. Comme ils le souhaitaient, nous avons présenté auprès de chaque binôme athlète coach, une analyse des données que nous avions recueillis sur l’ensemble des compétitions. Nous avons proposé des stages à la chaleur notamment à l’Île de la réunion en 2019-2020 et 2021 afin de mesurer dans un premier temps sur chaque athlète l’impact de la chaleur. Les résultats ont été très parlants notamment l’impact de la chaleur sur la fréquence cardiaque (+15puls en moyenne) et le délai d’acclimatation nécessaire pour les un(e)s et les autres très individuel. Nous avons remarqué les effets des expositions répétées sur la capacité des athlètes à s’acclimater à chaque nouvelle exposition (au fur et à mesure des expositions l’acclimatation se faisait plus vite).
On a leur a suggéré de relever des data sur certaines courses où le stress lié à la chaleur était important. Certains ont privilégié une logique de préparation hypoxique, peut-être sans suffisamment tenir compte des conditions attendues à Tokyo. Fatigue liée au voyage, décalage horaire, acclimatation à la chaleur et à l’humidité…
A Paris, il peut faire très chaud et Il vaut mieux partir de l’idée qu’il fera très chaud. Le stage terminal au CNEA est positionné sur trois semaines avant l’échéance, avec un retour au niveau de la mer une quinzaine de jours avant pour se réhabituer à la chaleur (les athlètes vivent pratiquement tous dans le sud de la France).
A partir de l’observation et du recueil de données, comment intervenez-vous auprès des entraîneurs et des athlètes ?
La fédération gère la saisie des datas pour tous les athlètes du collectif en lien avec les coachs. Ensuite, les coachs ont des retours sur toutes les collectes de data. Lorsque l’on propose des pilules à avaler aux athlètes pour mesurer l’évolution de la température corporelle en course, nous leurs donnons une analyse écrite individualisée.
A la fin d’un stage en altitude au CNEA par exemple, chaque athlète repart avec un dossier, précisant l’ensemble des données et leurs évolutions tout au long du séjour. Il en était de même à la Réunion.
A posteriori, de ton point de vue, ils ne se sont pas suffisamment entraînés aux conditions prévisibles attendues à Tokyo.
Il y a eu deux problèmes : pas assez de prise en compte des spécificités de l’épreuve de Tokyo (chaleur + humidité), pas préparé pour la course d’un jour. Il était nécessaire de faire des choix à l’échelle d’une saison, renoncer à certaines courses, caler sa préparation à la course d’un jour. Il y a eu trop de timidité à oser faire des choix radicaux de calendrier pour préparer la course des JO. Ce qui peut en plus parfois contribuer à la blessure.
Cet aspect a été un problème et s’est cumulé aux difficultés à s’engager dans le travail de gestion du stress lié à la chaleur, la plupart des entraineurs ont voulu rester sur les préparations habituelles en altitude et ont à mon sens trop négligé l’aspect chaleur, or le jour de la course tu peux avoir fait la meilleure des préparations en altitude, si tu n’as pas appréhendé les conditions de course que tu devras à gérer le jour J, tout tombe à l’eau.
Comment a été gérée la préparation à la chaleur et à l’humidité ?
Il semble qu’il y ait moins de risque à s’entraîner en chaleur qu’en altitude sur des sollicitations importantes. Le point le plus délicat est le dosage des charges, des intensités, des durées et de la récupération, dès lors que l’on les place dans des conditions de stress environnemental importantes.
L’idée a été d’exposer les athlètes qui s’engageaient dans le projet, le plus souvent possible à la chaleur les années avant les Jeux, à la fois pour réaliser une analyse individuelle du délai d’acclimatation mais aussi pour analyser avec la répétition des expositions au cours de la saison la capacité de chacun(e) à s’acclimater.
Par la suite, nous avons préparé les stages à la chaleur par une pré-acclimatation en les mettant deux fois par semaine dans la thermo-room sur les trois semaines qui précèdent le stage. Les adaptations se sont avérées plus rapides en arrivant à la chaleur.
Ce sont des hypothèses sur lesquelles on avançait, nous avions été conseillés par Sébastien Racinais, chercheur en physiologie de l’exercice et en physiologie environnemental, qui a beaucoup travaillé sur l’impact du stress environnemental notamment au Qatar. Il a fallu réfléchir aux moyens de préparer les athlètes à ce stress avec les particularités d’une discipline comme la nôtre c’est-à-dire 2h de course avec 1500mètres à nager dans une eau annoncée à 28°, rouler et ensuite courir sous plus de 30° avec une hygrométrie proche des 80%. Il n’y avait pas vraiment d’écrits, de protocoles essayés pour une discipline comme la nôtre. Il a fallu construire les choses petit à petit.
Les entraîneurs avaient l’habitude de préparer leurs athlètes sur des protocoles hypoxiques. Certains ont mis l’accent sur l’hypoxie et négligé l’entraînement à la chaleur. Comme dans tous les sports, le danger qui menace les entraîneurs et les athlètes est de ne pas sortir suffisamment de leurs zones de confort et de s’enfermer dans la routine, dans les préparations habituelles, celles qui ont fait leurs preuves. Il est essentiel cependant, dans le cadre d’une préparation, de partir des conditions dans lesquelles l’athlète devra être performant.
Si la routine est une forme de renoncement à interroger le réel, il est important que les athlètes s’entraînent au plus près des conditions attendues. Se préparer à un événement exceptionnel exige de se confronter souvent à des situations de compétition similaires. Mais les Jeux Olympiques restent un évènement unique avec une concurrence maximale, de l’enjeu, une pression médiatique, une pression par rapport à sa famille, par rapport à soi…
J’ai été coach pendant 17 ans. C’est tellement rassurant quand on a une routine qui marche de s’en inspirer chaque année. Organiser l’été autour d’un stage en altitude de 4 semaines dans un lieu que l’on connait où la préparation a déjà fait ses preuves. Ce sont des éléments rassurants mais il faut être vigilent à la façon dont les semaines se sont passées avant, le nombre de courses courues et l’état dans lequel l’athlète arrivera pour son stage certainement différent de l’année précédente. C’est un premier élément. L’ajout de la problématique chaleur a été un challenge pour les entraineurs et les athlètes, s’est posé le dilemme de se lancer dans une préparation orientée chaleur versus préparation hypoxique avec intégration éventuellement de quelques séances à la chaleur voire une préparation avec une redescente d’altitude à 2 semaines de l’échéance, permettant une exposition à la chaleur ensuite. Cela induisait de modifier les habitudes, introduire dans la préparation un nouveau stress qui pouvait totalement modifier la réponse de l’athlète aux contenus proposés.
Lors des championnats du monde d’Athlétisme organisés au Qatar, en 2019, les athlètes de longues distances cavaient été confrontés au même problème. Les Français s’étaient entraîné à la fraiche en Altitude à Font-Romeu, alors que c’était la canicule en France. Ils auraient dû prendre en considération les conditions de chaleurs auxquelles ils pouvaient s’attendre. « Ce que tu veux savoir du bambou, seul le bambou te l’apprendra » dit le proverbe africain. C’est un des premiers principes d’une préparation à une compétition. Il faut aller au plus près des conditions de compétitions attendues.
Lorsque j’entrainais un groupe de filles, on était allé en stage à la Réunion. J’ai vu ce qu’il se passait. Elles perdaient 15-20 watts de puissance sur le vélo au premier seuil. Au bout de 6 jours, les processus d’adaptation se sont mis en place, et au bout de 15 jours, elles étaient capables de faire des séances super intéressantes. Au retour de la chaleur, on a constaté un rebond, comme avec l’altitude. C’est-à-dire que physiologiquement, on a observé des adaptations et une amélioration des performances. La différence avec l’altitude est que les adaptations sont plus rapides. Par la suite, on a constaté qu’il suffisait de faire des rappels d’exposition à la chaleur, sans être obligé de passer 3 semaines en chaleur pour maintenir une capacité à s’acclimater intéressante.
Lors de notre premier stage à La Réunion, avec chaleur et humidité (en janvier 2019), on a fait des relevés de data tout de suite pour comprendre ce qu’il se passait. C’était plus 15, 20 pulses pour chaque athlète sur un même effort. Il faut s’entraîner aux conditions dans lesquelles on veut être performant(e)s.
De ton point de vue, que s’est-il passé ? Je sais que les conditions étaient assez compliquées notamment du fait de la crise Covid. Comment éviter de reproduire certaines erreurs ? Quelle stratégie avez-vous mis en place au regard de la concurrence internationale ?
Pour revenir sur les résultats obtenus aux JO de Tokyo, cela a été une réelle déconvenue. Sur le papier, on connaissait les athlètes potentiellement médaillables. Mais chaque entraîneur gère la préparation de l’athlète qu’il accompagne, ses contenus d’entraînement. Notre rôle est d’assurer la coordination, fixer les conditions de sélection, avec les regroupements et leur proposer, notre expertise. J’ai senti sur cette olympiade que les calendriers en dehors du stage de préparation terminale n’étaient pas construits pour être très performant le jour des Jeux. Le niveau d’exigence demandé à travers cette saison pour gagner sa sélection, associé aux perturbations de la saison 2020 avec le COVID n’ont pas donné les bons repères de niveau aux athlètes, leurs entraineurs pour arriver prêts à décrocher une médaille à Tokyo.
A l’issue des JO on s’est interrogé sur nos leviers à la DTN pour orienter les binômes athlète/entraineur vers une préparation axée sur la course d’un jour, comment les aider à faire des choix de calendrier dans un contexte de championnat du Monde par étapes. Il était nécessaire de construire des modalités de sélection qui conduisent le binôme à faire des choix de calendrier mais que cela ne mette pas en péril la capacité des athlètes à être performant sur le circuit championnat du Monde en 4 étapes + 1 grande finale.
L’athlète choisit son coach qui entraine avec sa patte, au sein de la DTN on fait le choix de ne pas être intrusif dans les contenus d’entrainement. Nous produisons des modalités de sélection qui fixent le niveau d’exigence attendu sur des épreuves ciblées, ensuite nous sommes à disposition à travers le service de la MAEP (missions d’appui et d’expertise de la performance) pour aider, accompagner les entraineurs dans la construction de leurs contenus d’entrainement, analyse des datas post course, mais rien n’est obligatoire. L’enjeu des modalités de sélection sur l’olympiade de Paris visait à permettre aux athlètes et aux coachs de se recentrer sur la façon de préparer les courses, sur la capacité à être performant sur la course d’un jour.
Dans le même temps, il nous fallait tenir compte que le championnat du monde (sur lequel nous n’avons pas la main) est organisé en étapes, c’est le circuit rémunérateur pour les athlètes et vendeur auprès des partenaires. Il fallait identifier chaque année de 2022 à 2024 la course objectif sur laquelle le niveau serait proche de celui des JO (afin de permettre aux athlètes de se mesurer chaque année aux athlètes en forme du moment et ainsi avoir une vision objective de leur niveau de performance) et gérer la préparation physique et mentale d’un rendez-vous annuel. L’ambition était là certes d’évaluer la capacité des athlètes et de leurs entraineurs à gérer la préparation de cette échéance, mais aussi de leur permettre de gagner en confiance sur leur capacité à gérer l’échéance d’une année et faire les choix nécessaires pour y parvenir.
L’organisation des saisons avant 2021 n’était pas optimale et se calait bien souvent autour des différentes étapes du championnat du Monde, sans viser de pic de forme.
Le championnat du Monde se court sur 4 étapes + 1 grande finale avec un bonus point. Le travers de ce type de circuit est de courir ces différentes étapes sans vraiment faire des choix et de tabler sur un niveau moyen pour réaliser le meilleur classement possible à la fin. Ça peut être une stratégie, ce n’est peut-être pas la meilleure pour réaliser le meilleur classement final mais à coup sûr, ce n’est pas la bonne pour se préparer à être performant le jour des Jeux.
Bon nombre d’athlètes et d’entraineurs toutes nationalités confondues dès l’annonce des étapes du championnat, inscrivaient toutes les étapes au calendrier quelque soient les destinations (induisant voyage et décalage horaire) et pensaient maximiser les chances de classement en procédant de la sorte.
Nous avons fait le choix à travers les modalités de sélection de cibler la grande finale comme course objectif en 2022, en 2023 le Test Event se courait 4 semaines avant la grande finale et figurait comme l’objectif n°1 suivi de la grande finale objectif N°2 la même année. L’idée était ainsi d’encourager la capacité des athlètes et des entraineurs à faire des choix à l’échelle d’une saison et ainsi renoncer à certaines courses pour en privilégier d’autres. Ce qui était important c’était aussi de permettre aux athlètes français(e)s d’être performant(e)s sur ce classement général championnat du Monde pour ne pas les priver d’un bon résultat sur ce circuit qui est la vitrine de notre sport. Viser la grande finale ou le Test Event c’était viser les épreuves offrant un bonus point au classement général et ainsi aller dans le sens d’un bon classement final.
Une course reste pourtant une course.
Pas vraiment. On ne se prépare pas à une course d’un jour comme sur un circuit. Physiquement mais aussi mentalement. Être capable de se dire que c’est tel jour, telle heure. Être capable de capable de gérer l’enjeu, le stress. Avoir suffisamment travaillé et avoir été confronté à ce genre de situation pour arriver en confiance, c’est une autre histoire. Il nous fallait identifier un ou deux évènements par an sur lesquels ils/elles devaient être performant(e)s.
Fin 2022 nous leur avons expliqué quelles seraient les courses fléchées chaque saison et comment se sélectionner aux JO : « Vous construisez votre saison comme vous voulez, mais vous serez sélectionnés sur les deux épreuves de référence que nous avons identifiées ». On leur a précisé que sur l’année 2023, les deux temps forts seront les Tests Events et la grande finale du championnat du Monde, avec un gros focus sur le Test Event. Un(e) athlète très performant(e) sur la grande finale, mais qui passerait complètement au travers du Test Event, ne sera pas prioritaire dans la sélection par rapport à un(e) athlète qui se place dans le top X du Test Event.
Il nous fallait flécher les épreuves où il y aurait la plus forte concurrence, donc comme la plupart des grandes nations, le Test Event à Paris sur le site Olympique figurait comme support de sélection. Cette proposition avait été validée par le CNO sur proposition du DTN. Au départ, les athlètes et certains entraineurs ont tiqué en estimant que les critères étaient difficiles mais l’objectif était de tracer le chemin jusqu’aux JO qui mènerait à la médaille, parce que c’était bien ça l’objectif. On peut difficilement imaginer un chemin qui soit en décalage avec le niveau d’exigence nécessaire pour obtenir une médaille sur une épreuve comme les JO.
Quels sont les problématiques spécifiques de l’entraînement en triathlon ?
Ce n’est pas toujours simple de travailler la spécificité de notre discipline. Nous devons travailler trois sports que nous enchainons en course. Durant les entrainements les athlètes sont souvent dans des conditions différentes (natation en bassin versus en eau libre, vélo sur petite boucle très technique fermée à la circulation versus routes fréquentées par les véhicules du quotidien …). Les phases de transitions sont aussi souvent très spécifiques aux courses et plus difficiles à reproduire à l’entrainement. Les athlètes essaient pendant l’hiver de se rapprocher de sites permettant de s’entrainer proches des conditions de course. Ensuite c’est aux entraineurs de trouver le moyen d’organiser des entrainements proches de ces conditions en termes de parcours et d’adversité.
Des groupes d’entrainement se sont créés un peu partout pour permettre aux athlètes de trouver l’adversité nécessaire à leur progression sans non plus les épuiser au quotidien en multipliant les séances avec une grosse concurrence. C’est un équilibre à trouver pour les hommes comme pour les femmes au quotidien.
C’est un travail d’Orfèvre. Comment créer les conditions du changement pour aider les entraîneurs comme les athlètes à mieux performer ? Qu’est-ce qu’ils entendent de ce que tu peux leur dire ? Que vont-ils modifier par rapport aux éléments que tu leur présentes ?
Cela dépend des entraîneurs et des athlètes. Pour certain cela va faire résonnance, pour d’autres ça va glisser parce que cela ne fait pas sens. J’essaie d’apporter un regard extérieur, de donner mes observables aux entraineurs, je suis sur les compétitions avec les athlètes donc je suis dans une position où je les vois ponctuellement en situation de course. J’essaie d’utiliser cette position pour apporter ce regard aux entraineurs et leur apporter des éléments qui pourraient les aider. C’est un travail en équipe qui se réalise plus ou moins facilement, je dirais que le temps aide à mieux se connaitre entre entraineurs et cadres de la fédération et à tisser des liens aidant dans l’atteinte de l’objectif. Le métier d’entraineur peut isoler, l’objectif est justement d’éviter cet isolement des entraineurs. Au fil du temps le niveau sportif évolue, les athlètes aussi, il faut donc s’adapter à cette évolution et essayer de toujours avoir un coup d’avance. Si on s’enferme dans une méthode d’entraînement, on est mort parce que les scénarios de course bougent, le niveau des athlètes aussi et l’athlète que l’on entraine évolue lui aussi. Globalement les entraineurs savent qu’il faut être à l’affût de l’évolution du circuit (nous essayons de leur donner les éléments d’analyse des courses pour que chaque saison ils aient (ainsi que les athlètes) une juste idée du niveau de la concurrence et des tendances de déroulement des courses. Ensuite l’objectif, chaque saison, est de faire un retour sur les performances réalisées par l’athlète, pour qu’ensuite l’entraineur ait une idée des directions à prendre à l’entrainement afin que l’athlète, la saison suivante, soit dans le jeu pour peser sur la course, accentuer ses points fort et travailler ses points faibles et ainsi affiner sa stratégie en course.
Lorsque tu es nommée « responsable de l’équipe de France Olympique », il n’a pas été facile, je suppose, d’engager et d’impliquer les entraîneurs dans la dynamique que tu souhaitais créer ? D’autant que certains entraîneurs privés ne relèvent pas de l’autorité de la fédération.
Ce n’est pas toujours évident alors que nous sommes clairement dans le même bateau, nous avons un objectif commun qui est de permettre aux athlètes d’être le/la plus performant(e) possible. J’ai essayé d’expliquer les objectifs fixés, les moyens/ outils dont nous disposions pour accompagner ensemble les athlètes et les entraineurs pour les atteindre. La communication est fluide et simple avec certains entraineurs, on travaille main dans la main on construit les choses dans le respect du rôle de chacun(e), c’est plus difficile avec d’autres, et ce n’est en rien lié au fait que ce soient des entraineurs privés ou non. Je pense que c’est une question de relation humaine, il faut essayer de trouver la bonne porte d’entrée avec chacun, pour le confort de tout le monde mais surtout de l’athlète qui est au milieu de ce système et celui dont on attend la performance.
Les entraîneurs privés ne craignent-ils pas d’ouvrir leurs organisations à une externalité qui pourrait fragiliser leurs légitimités et leurs entreprises ?
Le système est assez simple, la performance apporte la légitimité et créer l’attractivité. Être entraineur n’est pas un métier simple, il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers, il faut constamment se réinterroger, se remettre en question. Chaque athlète a ses spécificités et le rôle de l’entraineur est de permettre à chaque athlète d’exploiter au maximum ses capacités pour réaliser les meilleures performances possibles. La quête des entraineurs est la même que celle des athlètes, la performance et c’est la condition essentielle à la bonne santé de chaque organisation.
Comment ces teams arrivent-ils à convaincre les meilleurs athlètes mondiaux que leurs structures privées peuvent leurs apporter une plus-value ?
La meilleure publicité ce sont les résultats. Une « Team » au sein de laquelle les athlètes sont performant(e)s attirera. Lorsqu’un athlète envisage de rejoindre une « Team », il demande à s’entretenir avec l’entraineur principal du groupe, ils échangent souvent autour de différents sujets dont les méthodes d’entrainement, les membres qui composent l’encadrement de ce groupe. Ensuite les athlètes sont souvent sensibles aux membres de cette Team. En effet les athlètes d’une Team s’entrainent ensemble au quotidien donc mieux vaut bien s’entendre avec les athlètes composant le groupe. Il y a donc la bonne entente qui est importante mais aussi l’adversité au sein de la Team. Certains entraineurs évitent de prendre des athlètes de même genre et de même nationalité pour éviter la concurrence au sein du groupe, c’est un critère auquel sont sensibles les athlètes. Ensuite pour ce qui concerne l’encadrement chaque groupe a son propre fonctionnement avec une présence de l’entraineur ponctuelle ou quotidienne et l’organisation de stages dans la saison en France ou à l’étranger. Les athlètes feront leur choix en fonction de tous ces éléments.
Est-ce que vous avez mis en place une veille sur la concurrence internationale ?
On analyse bien sûr les courses chaque année et suivons l’évolution de la dynamique que ce soit chez les hommes, les femmes ou le relais mixte. Nous analysons l’évolution des valeurs des athlètes français mais aussi étrangers pour à la fois suivre la progression de chacun/ chacune mais aussi pour mieux nous situer dans la hiérarchie internationale. L’idée est aussi de pouvoir suivre les tendances et se projeter sur les années à venir avec le maximum de lucidité. Pour ce qui est des contenus ou méthodes d’entrainement, nous travaillons sur ces aspects en donnant les éléments factuels en course des athlètes aux entraineurs et ensuite chacun conçoit le programme qui lui semble le plus pertinent pour l’athlète qu’il/elle suit. Il n’y a pas de veille sur ce que font les étrangers à l’entrainement, les méthodes utilisées, les sites privilégiés. Notre rôle est d’accompagner le travail des entraineurs qui suivent les athlètes français et de leur donner les éléments qui leur permettront d’optimiser leur suivi au quotidien ou sur certaines périodes comme lors de stage par exemple. Ils sont beaucoup d’entraineurs d’athlètes français à travailler avec le stress hypoxique, dans ce cas nous essayons en relation avec le CNEA d’accompagner le mieux possible ces stages en fournissant un compte rendu de datas journalier. Ainsi l’entraineur adapte au mieux ses contenus en fonction de la réponse de l’athlète au cumul stress hypoxique et entrainement.
Propos recueillis par Francis Distinguin