CHRISTOPHE GUÉNOT – HEAD COACH DE L’ÉQUIPE DE FRANCE DE LUTTE GRÉCO-ROMAINE
COMME UN TORRENT !
Entretien avec Malik et le staff de l’équipe de France de Boxe Homme lors du stage organisé au CNEA de Font-Romeu en janvier 2023.
Lorsque enfant, je voulais m’endormir et que le marchand de sacs de sable ne pouvait pas passer, je m’inventais des combats de légende. Je m’épuisais à les mener à leur terme en douze reprises d’où je sortais souvent vainqueur et champion du monde de sueur et de fumée.
« La boxe, ça n’a rien de naturel, murmurait la voix. Comprends-moi bien là-dessus, petit. Tout ce que tu fais en boxe, c’est le contraire de ce que tu ferais dans la vie. Par exemple tu veux aller à gauche ? Eh bien tu bouges pas ton pied gauche, tu te pousses avec les doigts du pied droit. Comme ça. Et pour bouger à droite, l’inverse. » Le vieux Blanc ne vous regardait pas dans les yeux, non : il regardait ce qu’il y a derrière les yeux, et jusqu’au fond de la tête. « Au lieu de fuir la douleur, ce qui est l’attitude naturelle, en boxe, tu vas la chercher, pas vrai ? Alors maintenant que tu as décidé d’être un boxeur tu dois aussi savoir « comment » l’être. Parce que tout dur et costaud que tu sois, l’ami, il y en aura toujours un avec une plus grosse que la tienne qui cherchera à te mettre K.-O. «
FX Toole. Écrivain américain qui a écrit de nombreux ouvrages sur la boxe, notamment « Coup pour Coup » en 2006 – Edition Albin Michel.
Le décor est planté en perspective des JO 2024. Le staff de l’équipe de France de Boxe a des choses à nous dire. Écoutons-les !
BILAN DES JEUX
Aux JO de Tokyo 2021, l’équipe de France de boxe n’ remporté aucune médaille. 5 boxeurs étaient sélectionnés (4 hommes et 1 femme) ; 3 médailles étaient attendues auxquelles se rajoutait une potentiel de 2 médailles supplémentaires.
En décembre 2021, l’ANS a audité les DTN des fédérations pour procéder à l’analyse des résultats obtenus à l’issue des JO de TOKYO. Au-delà des éléments statistiques comparatifs entre nations aux Championnats du monde (2019) et aux Jeux Olympiques de Tokyo (2021), et la façon dont les combats ont été menés par les Français, le rapport de l’ANS souligne :
- Des polémiques sur l’arbitrage défavorable à l’encontre des Français
- Un manque de chance au tirage pour certains (tous les boxeurs ont perdu contre de futurs médaillés olympiques)
- Absence d’un réel projet féminin
- Un manque de pilotage de la performance sur l’ensemble des équipes tout au long de l’olympiade et de la gestion du projet global.
Francis Distinguin : La lecture de ce rapport s’apparente à un descriptif ce qu’il s’est passé, mais ne nous donne pas réellement les clés d’analyse de ce qu’il faudrait faire pour remporter des médailles. Ce qui me parait intéressant est de comprendre ce qu’il se cache derrière les termes « manque de pilotage de la performance et l’absence de gestion du projet global. » Par ailleurs, le rapport précise que le nouveau DTN, Mehdi Nichane, nommé à l’issue des JO devrait jouer « un rôle plus prégnant sur la performance, quasiment celui d’un directeur de Performance et se consacrer majoritairement sur le projet de Performance. »
Malik : Mehdi faisait partie de l’encadrement de RIO, en charge notamment du suivi et de la préparation physique de certains athlètes (Homme et Femmes). Le DTN, le président et l’ensemble du staff avons longuement échangé sur la direction à prendre. Ma responsabilité comme Head Coach est de coordonner et mettre en œuvre le projet de Performance Paris 2024. Pour cela, je dois être extrêmement vigilant m’assurer que tout le staff partage la même vision, que les athlètes entendent la même chose et soient placés au cœur du dispositif.
A l’issue des JO, on a opéré des modifications dans le management de l’équipe, notamment par une attribution plus claire des responsabilités de chaque personne du staff. Trois mois après les JO, un nouveau staff est nommé et on remporte trois médailles avec les mêmes athlètes sur une compétition internationales réunissant les meilleurs mondiaux.
Comment est constituée l’équipe ?
Malik : Le premier temps du scénario a donc consisté à recruter et à placer les bonnes personnes aux bonnes places, dans leurs champs de compétences. Au niveau hiérarchique je suis responsable mais dans les faits nous sommes d’abord collègues, chacun ses compétences, au service d’un projet et d’une vision partagés. On tire tous dans le même sens. Nous sommes tous différents et c’est ce qui fait notre richesse. C’est pour cela que j’ai souhaité lors de notre échange associer tout mon staff.
Auparavant, j’avais la responsabilité des collectifs jeunes à Nancy. J’ai pris le temps d’observer, de comprendre et d’évaluer le fonctionnement de l’équipe de France, et d’identifier les points de d’amélioration à apporter dans la formation des jeunes boxeurs et à la préparation des grandes échéances internationales.
J’ai souhaité m’appuyer sur Mariano Gonzales qui fait office d’adjoint. Il fut mon entraîneur il y a 20 ans aux JO d’Athènes. Vivre 2024 ensemble est un beau cadeau. Son expérience est indispensable. Je l’ai connu en 2004, il était mon entraîneur aux JO d’Athènes. Il a participé avec l’équipe de France à 4 olympiades en tant qu’expert technico-tactique. Et puis on a fait récemment appel à Kamel HASNI, ancien boxeur de l’équipe de France qui s’est reconverti entraîneur (dans un club de Lyon). Nous avons également un kiné référent qui travaille avec les hommes et les femmes, ainsi qu’un préparateur physique qui nous a rejoint depuis septembre 2022.
La première difficulté consiste à bien analyser ce qu’il s’est passé. Cela suppose d’avoir une approche au plus près du réel. Et le réel en boxe, c’est le combat. C’est de la confrontation au réel que s’élabore la performance. La pratique permet d’interroger le réel. Il ne s’agit pas d’opposer théorie et pratique. L’un s’enrichit de l’autre. Mais c’est toujours le réel qui l’emporte. Certains entraîneurs ne sont pas frottés à la théorie, mais grâce notamment à l’expérience ont développé un œil, une perception, une vision éclairée des conditions d’émergence de la performance humaine.
Effectivement, il faut parler performance. On a besoin de s’appuyer sur les contenus d’entraînement, les données, … mais in fine en France, on a tendance à oublier que la performance est toujours à venir. C’est un individu singulier qui a un parcours particulier, …qui a un désir de faire et qui va trouver la solution en situation de compétition.
Mariano : Quand tu t’entraines ce n’est pas pour l’exercice en lui-même ou pour faire plaisir à ton entraîneur, c’est pour te préparer à gagner tes combats. Et ça change toute ton implication dans l’exercice et dans l’entraînement. Pour avoir participé à quatre olympiades avec l’équipe de France, je suis toujours surpris de l’importance que vous, les Français, accordez à la préparation physique au détriment de la formation technico-tactique. Beaucoup de conférences notamment à l’INSEP traitent de la préparation physique, de la préparation mentale, de la programmation d’entraînement. Ma préoccupation est d’aider les boxeurs français à battre les meilleurs adversaires mondiaux. Comment tu vas battre ton adversaire ? La boxe c’est d’abord du combat. Il est nécessaire que l’objectif soit clair pour les entraîneurs comme pour les boxeurs.
L’entraîneur entraîne, il a un programme savamment étudié, dispose des outils d’évaluation les plus innovants, … Dès lors que les athlètes respectent le programme, l’entraîneur est content. Et les athlètes sont contents d’avoir répondu à la demande de l’entraîneur (d’autant plus si cela a été validé par le recueil d’indicateurs). Parfois, on entraine pour entrainer, on fait de la muscu pour faire de la muscu. Mais pour aller où ? Ceux-là ont oublié au passage que la compétition consiste à battre les adversaires. Se préparer au combat exige que ces boxeurs soient souvent confrontés à des situations de compétition, où ça va stresser un peu, où ils sont attendus sur une performance ; avec la conviction qu’ils sont en mesure de trouver la solution pour battre leurs adversaires. Cette démarche permet d’emmagasiner une certaine de confiance.
Malik : Pour accéder à cet état de confiance, il est non seulement nécessaire de beaucoup travailler aux intensités et aux vitesses exigées par le très haut-niveau, mais également d’être confronté aux différentes écoles de boxe. C’est pour cela que l’on va rencontrer les Cubains, les Ouzbèques, les Asiatiques, les Américains… L’idée n’est pas de boxer comme eux, mais de faire notre sauce à la française. Chaque pays à sa culture de la boxe. L’objectif est d’aller voir la façon dont ils s’y prennent, leur vision de la boxe, et d’aider nos boxeurs à résoudre le problème de l’opposition, de la confrontation.
Mariano : En sport on aborde trop souvent les activités par les explications, la démonstration, …sans y mettre du sens. La question est pourquoi ? Quel est l’objectif ? C’est à partir de l’analyse de la situation, que l’entraîneur peut être amené à démontrer en disant, si tu fais ça, si tu fais ça. Comment faire ?
Comme le dit le proverbe africain : « Ce que tu veux savoir du bambou, seul le bambou te l’apprendra ». Quand vous allez à Cuba, c’est bien l’objectif d’aller voir le bambou avec une des équipes parmi les meilleures au monde, en vous confrontant tous les jours à des situations réelles de compétition. Il faut aller là où cela se passe, là où il y a de la compétition de très haut-niveau.
Malik : A Cuba, ça ne rigole pas. On est ici au cœur de la boxe, d’une culture boxe. Dans la même journée, on peut être confronté à 4/5 partenaires d’entraînement différents par catégorie. A l’INSEP, c’est impossible. Notre vivier n’est pas assez important, on combat trop souvent entre nous. Et puis, là-bas, le mode de vie n’est pas le même, l’hébergement est spartiate, tu ne peux plus utiliser ton smartphone H24, tu n’as qu’une heure par jour. Cela change de nos habitudes et de notre confort.
Mariano : Il y a tellement de différences en termes de culture, d’éducation, d’organisation du sport, de niveau social… entre les nations majeures de la boxe, que c’est une grande richesse. Tu dois t’adapter. A titre personnel, en tant qu’entraîneur cubain, j’ai toujours essayé de me fondre dans l’histoire et la culture des pays où j’ai entraîné. Ce n’est pas par hasard si la France a développé la Boxe Française. Qu’est-ce que ça dit de la France ?
MANAGEMENT GOUVERNANCE
La deuxième difficulté est de créer les conditions du changement en termes de management et la gouvernance. Lorsque les fédérations n’interrogent pas avec acuité ce qu’il s’est passé, les changements opèrent à la marge. Et cela se traduit souvent par un jeu de chaises musicales au niveau de l’encadrement des équipes.
Malik : : De manière plus générale, les organisations fédérales en France me paraissent assez figées. Il y a peu de renouvellement des personnes ; et le milieu est un peu consanguin. La boxe en France est un petit milieu où tout le monde se connait et il n’est pas toujours facile humainement de prendre des décisions radicales surtout s’il n’y a pas de crises majeures dont pourrait s’emparer la presse. On a donc tendance parfois à mettre la poussière sous le tapis et à vouloir gérer nos affaires en famille. Il y a des compétences en France mais la difficulté est de positionner chacun dans son champ de compétence et de s’assurer qu’il reste bien à sa place. Il faut être vigilant.
Mariano : J’ai participé à 4 olympiades (Pékin 2008 – Londres 2012 – Rio 2016 – Tokyo 2020). J’ai vécu 4 managements différents.
À Pékin (2008), le seul patron était Dominique Nato, DTN depuis 2002. Chacun avait une mission précise à assurer. L’équipe était notamment constituée de Medhi Nichane (actuel DTN), qui assurait le rôle de préparateur physique, Mario, Kevin, Yann, Aldo Cosentino, …
Pour Londres (2012) tout a été changé. Je suis appelé en janvier 2012 pour une compétition prévue six mois plus tard…. Manque d’anticipation. Aucune harmonie avec les autres entraîneurs. Ça changeait en permanence, c’était untel le patron, puis un autre, … Beaucoup de turn-over et beaucoup de cadres faisaient trop de politique.
À Rio (2016), ce fut compliqué. Tout avait pourtant bien commencé mais rapidement, tout le monde est parti à droite à gauche. Chacun faisait un peu ce qu’il voulait. Ma mission générale consistait essentiellement à accompagner l’équipe en tant que référent technico-tactique. Mais j’étais également positionné comme coach principal de Sofiane, Cissoko, Tony, Estelle. Chacun avait ses propres athlètes en fait pour RIO. Jon Dovis (Entraîneur National) avait ses athlètes, Mariano les siens, …et c’était compliqué d’assurer une cohérence et une continuité dans le travail.
À Tokyo (2021) : Une fois de plus, tout a été changé. J’ai commencé tout seul le début de la préparation olympique avant de faire appel à Kamel. (CTF – Conseiller Technique Fédéral) pour m’aider.
Il y a eu une bonne année de flottement au niveau de la DTN. Plusieurs boxeurs français qui avaient performé aux JO souhaitaient partir sur la boxe professionnelle. La fédération a tenté de créer une cellule pro qui n’a pas durée. Le responsable de Rio Jon Dovi est passé Manager en 2016, en étant très présent sur la boxe pro, l’US GO. La gouvernance était compliquée. Après c’était fini la boxe pro ; tout le monde arrivait à travailler ensemble, mais dans notre milieu, il y a de tels ego que tout le monde voulait être le patron. Et puis il y eu le Covid, C’était le bordel. Ça manquait de direction.
PROFESSIONNALISME
Ce témoignage est révélateur de la difficulté d’instaurer une gouvernance appropriée qui s’inscrive dans une certaine continuité.
Malik : Je pense que cette continuité est importante pour les athlètes. Dans notre milieu, cette relation peut-être vite corrompue du fait d’une organisation différente entre la boxe amateur et la boxe professionnelle. A l’issue de RIO, plusieurs boxeurs ont souhaité aller vers la boxe professionnelle. A la fois pour l’argent mais aussi pour le prestige, la notoriété, … et on peut les comprendre. C’est dur la boxe.
Mariano : Certains boxeurs sont attirés par les sirènes du professionnalisme mais peu en réalité ont eu de réels résultats internationaux.
Il y a une telle médiatisation de la boxe professionnelle que l’on peut comprendre qu’à l’issue d’une belle carrière d’amateurs sans un sous, ils aspirent à une plus grande reconnaissance. La difficulté est peut-être la radicalité du changement. Partir aux Etats-Unis, trouver un logement, gérer ses sponsors, s’entourer de bonnes personnes, … La rupture n’est pas simple et devrait être bien préparée en amont.
Pour exemple en natation Yannick d’Agnel champion olympique à Londres en 2012, souhaitait rejoindre un camp d’entraînement à l’université de Baltimore pour s’entraîner avec Bob Bowman, considéré comme le meilleur entraîneur du monde du fait qu’il avait accompagné Michael Phelps toute sa carrière (23 titres Olympiques). Agnel éprouvait le besoin de changer d’entraîneur (Fabrice Pellerin) qui l’entraînait depuis l’âge de 16 ans et de se renouveler, de changer… mais malheureusement ce changement ne s’est pas inscrit dans la continuité de ce qu’il avait appris avec Pellerin. Enfermé dans son modèle de réussite avec Phelps, Bowman a demandé à Agnel de changer sa nage. Agnel avait une relation magnifique à l’eau, à la glisse, qui lui avait permis d’être champion olympique à Londres. Mais Bowman lui a fait changer sa nage. C’était un poisson, qui a la fin, se bagarrait avec l’eau. Il s’est blessé. Tu détruis quelqu’un en le sortant de son style. Et ça s’est mal passé.
Malik : Il l’a entrainé comme lui voulait, au lieu de s’adapter à ses qualités, au lieu de partir du sportif, de qui il était, de sa façon de s’y prendre. L’athlète n’est alors plus au centre. C’est dangereux.
On peut aussi apprendre de ses mauvais choix et de ses propres impasses, et des erreurs des autres. Récemment, Léon Marchand qui s’est toujours entraîné avec Nicolas Castel au club du TOEC à Toulouse, avait également décidé en 2021 d’aller s’entraîner avec Bob Bowman. Les parents (anciens nageurs internationaux), ont validé le souhait de Léon Marchand, en fixant un cadre et des conditions. Leur vision partagée était d’accompagner Léon dans une dynamique de changement et de continuité. Son choix ne s’est pas inscrit en rupture avec son entraîneur de Toulouse qui le suit toujours. Léon deviendra double champion du monde en 2022.
Malik : Certains boxeurs pro s’ils avaient été attentifs à cette nécessaire continuité dans le changement en restant proches de Mariano, peut-être auraient-ils performé aussi.
Pour qu’un système, une organisation reste pleinement vivante, et efficace, il est nécessaire de trouver le meilleur compromis entre continuité et changement. La continuité permet de s’appuyer sur ce qu’il s’est passé, de s’enrichir de l’expérience. Et le changement permet de créer un nouvel élan, de se renouveler, d’innover, de créer.
COMBAT – ADAPTABILITÉ
Quelles sont les directions que vous souhaitez prendre ? Je suppose que tes convictions t’engagent à aller plutôt par-là que par-là ?
Malik : Au niveau des contenus d’entraînement, on met beaucoup l’accent sur l’analyse vidéo, notamment concernant la concurrence internationale et l’analyse des combats des adversaires potentiels. Les meilleures nations sont engagées depuis longtemps dans cette voie-là. Les Anglais ont toujours un peu d’avance [1] mais on est plutôt bien équipé et accompagné au regard de la concurrence européenne. Sur les 3 rings de l’INSEP, on a placé des caméras qui filment sous différents angles, et puis on a la chance de pouvoir s’appuyer sur Lionel Brezephin qui collecte et analyse les données.
Que dit une analyse vidéo qui s’appuie sur un combat qui est passé pour préparer un combat à venir ?
Mariano : On considère dans notre milieu qu’il faut absolument regarder la vidéo de tes adversaires. Quand tu vois à la vidéo que l’espagnol est grand, qu’il a très joli crochet, tu le regardes monter sur le ring, …. Cela peut te donner des indications, mais cela peut également t’engager sur un leurre, un mensonge, … parce que tu risques d’arriver sur le ring avec des idées préconçues. Tu prends le risque de figer ta vision et ne plus être suffisamment en éveil, dans le combat.
Malik : Le danger est que l’athlète, l’entraîneur prenne la vidéo comme une vérité. Mais cela donne des indicateurs de travail important. Cela reste une nécessité aujourd’hui pour avoir une vision large des forces et faiblesses des adversaires… mais cela ne dit pas tout.
Les entraîneurs et les athlètes veulent tellement bien faire qu’ils se préparent à un évènement qui existerait déjà. C’est une des limites de l’analyse vidéo. Il suffirait d’analyser ce qu’il s’est passé pour prédire ce qu’il va arriver. Dans ce cas, l’analyse vidéo peut s’avérer contre-productive.
C’est bien la question de l’entraînement à l’engagement dans une situation dont l’issue est incertaine. « Il s’agit d’un saut dans le vide qui ne me fait pas peur, car j’ai confiance dans ma capacité à trouver la solution. J’ai besoin de m’appuyer sur les situations que j’ai rencontrées auparavant pour résoudre ici et maintenant mon problème. » Un combat est toujours un évènement dont on ne connait pas l’issue.
Mariano : C’est le principe premier de la boxe. Le combat. Même si tu te prépares un combat en fonction d’un adversaire identifié, en situation, l’adversaire face à toi, t’oblige à écrire un nouveau scénario. Tu ne te raccroches pas à ce que tu as fait, même dans tes pensées, tu dois être présent, en éveil à ce qu’il se passe. La façon dont un boxeur s’échauffe dit beaucoup de chose de sa présence à la situation. Dès son arrivée sur le ring, tu vois bien si un boxeur est présent à 100% pour engager un combat qu’il perde ou qu’il gagne.
Malik – Kamel : La boxe exige une adaptation rapide pour battre l’adversaire qui se présente. Les boxeurs français ont tous montré de l’engagement dans leurs combats mais ont pour la plupart perdu leur premier round (déterminant plus de 75% du gain du match), précise le rapport de l’ANS. C’est souvent celui qui va trouver la clé rapidement qui va gagner le combat. Aux JO c’est trois rounds de 3 minutes, pas 6 rounds, 8 rounds ou 10 rounds comme les pros. Prendre le premier round est donc très important.
Si je me trouve en face d’un boxeur que j’ai étudié, parfois combattu, cela peut s’avérer facilitant, mais si je le connais, à priori, il me connait également. Le problème relève du paradigme du Chasseur-Chassé cher à Edgar Morin où l’aigle développe ses habiletés pour attraper un lapin et en retour le lapin apprend à ruser pour échapper à l’aigle. La boxe est un jeu de ruse, de feintes, d’attaques, d’esquives, …
Malik : Pour que l’athlète trouve la solution en situation, cela suppose qu’il ait expérimenté en étant confronté à de nombreuses situations similaires. Aucune situation n’est identique parce que chaque évènement est unique, C’est donc important de multiplier les expériences. Ce n’est ni le coach, ni le préparateur, physique, technique qui fait la performance, c’est toujours eux.
Est-ce que dans le combat, vous arrivez rapidement à percevoir ceux qui s’adaptent et trouvent la solution plus vite que les autres ? Même s’ils ne gagnent pas ; est-ce qu’ils trouvent la solution ? Et trouver la faille ne passe pas forcément par la raison : « J’ai tellement travaillé, que je ne fais pas appel à la pensée à la raison qui prend du temps d’analyse (et de prise de décision) mais je vais trouver la solution. » C’est peut-être ce que l’on appelle l’intuition. Ce n’est pas une apparition, c’est quelque chose qui se développe à l’entraînement et en compétition. J’ai parfois le sentiment que la performance réalisée, que l’on est en mesure d’analyser avec des Data, des courbes, des récurrences, des statistiques, … dirait quelque chose de la performance à venir.
La performance demande un éveil, une présence à la situation… Le juge de paix, c’est le combat.
Malik : Il faut que le boxeur sente son corps. En fonction de ses appuis, on arrive à savoir ce qu’un boxeur fera. Je n’ai quasiment besoin de regarder les coups, juste ses appuis. S’il est bien sur ses appuis, il sait qu’il peut faire mal, et ça le rassure. Chaque boxeur doit ressentir son corps mais également percevoir le ressenti de son adversaire. Travailler sur ces deux aspects est hyper important. Certains indicateurs peuvent être utiles. On essaye par exemple d’identifier des marqueurs de fatigue. Lorsqu’un boxeur est fatigué, il a tendance entrer dans une zone où il perd en lucidité, il s’absente, il n’est plus là. Et il ne faut pas qu’il lâche son attention parce que son adversaire ne va pas attendre. Parfois, ce jour-là, ils n’arrivent pas à tenir en éveil.
Effectivement, la question de l’éveil me parait cruciale. Parfois, l’athlète s’absente, dans le sens où il n’est pas dans le combat, présent à la situation. Le fait d’avoir le sentiment « d’avoir tout fait pour réussir » place parfois les athlètes dans une position de refus de l’évènement : « puisque j’ai tout fait pour réussir ma présence n’est pas indispensable ». Trop d’athlètes s’absentent d’eux-mêmes dans ce genre de situation.
Son visage n’est pas abîmé du tout et cela me tracasse un peu ; il pourrait être celui d’un marchand de nouveautés ou d’un garçon d’honneur un peu ébloui par la noce. En outre, il a l’œil trop rond, à mon avis, pour un champion de sa catégorie. Il a l’air d’attendre chez le dentiste en rêvant à des chagrins d’amour. Quelque chose de somnambule. Je commence à me demander s’il n’est pas prématurément marqué par le signe du knock-out. Il s’est battu courageusement, mon champion, tout en pensant à autre chose. Ses doublés du gauche, me suis-je laissé dire, n’étaient pas enveloppés dans du rahat-loukoum. Mais l’autre envoyait des crochets qui, paraît-il, selon la métaphore obscure échappée de la bouche d’un voisin, valaient un jus d’orange. Toujours est-il qu’à la dernière reprise la figure de mon champion avait perdu de sa fraîcheur enfantine.
Jacques Perret- Écrivain philologue (1901-1992)
RELATION ENTRAÎNEUR – ATHLÉTE – COMMUNICATION
Qu’est-ce que tu as senti ? Comment expliquer ce que l’on ressent ? C’est compliqué. Le mieux est peut-être pour l’entraîneur de ne pas trop parler.
Malik : Ça dépend, tu adaptes tes mots, ta communication au profil de chacun. On travaille pas mal sur les préférences motrices. Pour certains, il faut leurs parler gentiment. Pour d’autres, il faudrait presque leur mettre des claques. Le choix des mots n’est pas évident. Chaque athlète procède de manière différente dans le combat dans la prise d’information comme dans la technique qu’il va utiliser. En situation, personne n’agit et ne réagit de la même manière.
Mariano : Certains athlètes, par exemple, sont capables de travailler seuls, sans avoir trop besoin de la présence de l’entraîneur, alors que d’autres ont besoin d’être poussés par les entraîneurs. Certains athlètes ont besoin d’être portés jusqu’au bout et d’autres non. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de les aider à développer un univers technico tactique très large. Certains athlètes dont je me suis occupé, étaient tellement autonomes que je m’abstenais de trop parler parce que je savais qu’ils avaient la solution en eux. Dans ces conditions le silence peut être magnifique. Parfois, il est quand même nécessaire de leur donner des conseils sur le combat, de les rassurer et de les récupérer dans les moments difficiles.
Le boxeur qui, dans son cerveau, laisse la moindre place à l’idée qu’il pourra être battu est un piètre pugiliste et ne fera jamais rien de bon. Personnellement, je suis satisfait de ma méthode. Elle m’a toujours réussi. Évidemment, ma confiance n’est pas ma seule arme et je ne néglige rien de mon entraînement physique, particulièrement en ce qui concerne le souffle, la puissance de coups, la rapidité d’exécution et le travail des esquives. Si l’adversaire parvient à me toucher durement, je m’efforce de ne lui en rien laisser voir. Je considère également qu’il faut constamment garder sa présence d’esprit, même au plus fort de la bataille, et ne laisser échapper aucun détail. Les plus petits détails, quand on sait en profiter, peuvent, en effet, faire remporter une grande victoire.
Jack Dempsey – Légende de la boxe.
CONFIANCE
C’est la mission de chacun des membres du staff, dans leur champ de compétence d’aider un athlète à se préparer à un évènement qui n’existe pas encore. LA compétition n’a pas encore eu lieu. Et lorsque l’on dit, ce boxeur a une chance de médaille en s’appuyant sur le fait qu’il a remporté des combats, un tournoi…Le fait qu’il ait gagné auparavant ne dit pas ce qu’il va faire après.
En situation, il faut que le boxeur, soit en lui, en confiance, convaincu de sa capacité à trouver la solution en situation de compétition. Ces aspects sont souvent négligés en France. La France est un pays cartésien, le pays de Descartes.
Lors d’un échange avec un snowboardeurs, en situation d’échec pour une qualification internationale. Le jeune m’’explique : J’ai tout fait pour réussir. J’ai fait la préparation physique. J’ai fait ce qu’on m’a dit. J’ai fait la préparation mentale, j’ai fait ce que l’on m’a dit. J’au suivi un régime nutrition vegan, j’ai fait ce que l’on m’a dit. Je fais du Yoga, de la médiation, j’ai fait ce que l’on m’a dit. Mais quel est ce tout dont il parle ? S’est-il préparé à un évènement avec l’idée que l’évènement est à venir, qu’il n’existe pas encore ? A-t-il développé une confiance suffisante pour trouver les clés qui vont l’aider réaliser ce qu’il est capable de faire.
Le sentiment d’avoir « tout fait pour réussir » peut s’avérer un facteur bloquant pour de nombreux athlètes.
C’est une conception de la performance qui est fausse.
Malik : A propos de la relation Théorie-Pratique, pour Einstein, « la théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : Rien ne fonctionne… et personne ne sait pourquoi ! »
En termes de préparation physique, quelles modifications tu souhaiterais apporter par rapport à l’équipe précédente ?
Mariano : Si la situation est la performance, le rôle du préparateur physique est de préparer un athlète à tout type de situation. Et la question essentielle que doit se poser un préparateur physique est « Comment aider sur le plan physique un athlète pour résoudre son problème en situation ? Et cette compétence ne se trouve pas dans les livres.
De mon point de vue, trois expertises sont essentielles, l’entraîneur, le kiné, le préparateur physique. Après tu vas le cas échéant, t’appuyer sur un préparateur mental, …. L’entraîneur référent est celui qui passe le plus de temps avec l’athlète à ses côtés. Le rôle du préparateur physique et du kiné est d’amener un athlète à 100% de ses capacités le jour du combat. Chacun est capable de se transformer, modifier son point de vue au service d’un projet. Mais le préalable est de savoir écouter.
Malik : Et de questionner. Un préparateur physique qui ne connait pas la logique interne de la discipline doit se questionner, doit nous questionner. Il faut lui laisser le temps.
Pour engager ce processus de transformation et d’individuation, il faut être capable de se fragiliser et accepter le point de vue de l’autre. C’est donc bien une histoire de posture. Il faut se dire les choses. Dans le haut-niveau, on ne met pas la poussière sous le tapis.
Valentin : Je n’ai pas beaucoup de recul mais je suis beaucoup sur l’individualisation. Ce qui est compliqué c’est trouver le bon équilibre entre l’individualisation et le collectif. L’émulation dans le collectif est essentielle et en même il est nécessaire de les accompagner individuellement car la boxe est un sport où il a de nombreux coups et traumatismes. Et il faut toujours organiser les séances de prep physique en fonction de ceux qui ont besoin de réathlétisation après blessure, de ceux ne peuvent pas à participer à l’intégralités des séances en groupe… Il faut donc s’adapter.
Pour être efficace, il est important que tout le monde soit en phase avec le projet. Le danger est que le kiné, le préparateur physique, le psy sortent d’une dynamique collective entrent dans un mode de séduction et d’empathie excessive avec des athlètes en difficulté. L’athlète est content qu’on l’écoute et que l’on s’occupe de lui et l’expert est content de valoriser son travail auprès des athlètes. C’est assez classique et ça peut foutre le bordel. Si l’entraîneur expert est bien en phase avec le projet, cela ne pose pas de problème. Si ce n’est pas le cas peut s’avérer dangereux. Le tout est plus que la somme de ses parties. Il faut être ensemble. Notamment lorsqu’un athlète est blessé. Si l’un dit : « Il est blessé, l’autre : « Il fait semblant » et le troisième : « Il est fatigué », cela devient impossible.
Malik : Les trois acteurs majeurs clés sont l’entraîneur, le kiné et le préparateur physique mais il faut, devant les athlètes, qu’ils parlent d’une même voix. Ils sont unis ensemble. C’est une nécessité. Cela exige que chacun fasse remonter l’information au niveau du Staff ; et là il faut être intransigeant. L’athlète en difficulté a tendance à se sortir du projet, il cherche à trouver une faille en évitant de prendre ses responsabilités. Un bon kiné dans une équipe me semble essentiel.
Mariano : On ne peut séparer la boxe de la préparation physique. Tout est union. C’est au préparateur physique d’être au service du projet et non l’inverse et la pratique prévaut sur la théorie. Dans la mesure où nous sommes tous responsables, il est important d’accompagner le préparateur physique en s’assurant que le travail est pleinement approprié à la problématique du combat.
Propos recueillis par Francis Distinguin
[1] Cuba et la Grande Bretagne terminent premier et deuxième au classement des médailles par nation à Tokyo en boxe