DECEMBRE 2021
JANVIER 2022
Une présence paisible, une gravité, une douceur, un sens de l’humain, une attention à l’autre, une juste perception de ce que vous êtes et ce que vous dites, une capacité à vous hisser au-dessus de vous-même… L’attractivité d’un entraîneur relève essentiellement de cette aptitude à aider un athlète à se découvrir, à se rejoindre, à se révéler à lui-même, à s’engendrer dans sa quête de performance.
Stéphane LECAT, directeur de la natation en eau libre accompagne depuis de nombreuses années les meilleurs nageurs français. Après des JO de TOKYO sans médaille, Stéphane se projette sur Paris 2024, en misant sur l’entraînement en altitude. Rencontre bienveillante et sans concession à Font-Romeu.
Chaque entraîneur affiche une vision, une méthode, un style, en cohérence avec son parcours personnel. Comment es-tu arrivé à l’eau libre ?
J’ai débuté par la natation course. Je nageais le 1500 m (15’25), le 200 pap (2’05), le 400 crawl (3’53), 4’32, le 400 4 nages. Ces temps me plaçaient le top 3, top 5 français mais cela ne me permettait pas d’entrer en équipe de France et de faire des compétitions internationales, ce que je souhaitais. J’ai décidé de me tester sur les épreuves d’eau libre en 1994 (L’Eau Libre aux JO à partir de 2008). Je m’étais rendu compte que je n’avais pas de grandes qualités d’explosivité mais j’avais d’autres qualités d’endurance mentale, d’endurance physique. J’étais plutôt très bon à l’entraînement car j’arrivais à maintenir une vitesse plus élevée sur les cycles fonciers que les autres, mais mon niveau d’entraînement était plus élevé que celui en compétition.
J’étais également passionné de sports de compétition, à 14, 15 ans, je dévorais les articles de l’équipe, j’adorais connaître les parcours, les histoires de vie, des meilleurs athlètes. Et puis j’ai eu la chance d’être formé par Claude Fauquet qui fut mon entraîneur pendant trois ans. Il m’a aidé à prendre du recul sur la pratique et mieux comprendre les conditions d’émergence de la haute performance.
A 22 ans, j’étais hésitant sur mes choix, soit je bascule sur le métier d’entraîneur, soit je continue. Donc j’envoie un CV aux dauphins du TOEC pour être entraîneur, et en même temps je m’inscris aux premiers championnats de France d’eau libre en 1994. Et je gagne. Donc je reporte à plus tard mes velléités d’être entraîneur.
Par la suite, Patrice Prokop, le DTN de l’époque, un homme formidable, me dit : « Stéphane, je vais t’envoyer à une coupe du monde à Évian, qui aura lieu 1 mois avant les championnats du monde et si tu fais une bonne performance là-bas, je te qualifierais pour les championnats du monde. » Je termine 2ème à Évian et je pars aux championnats du monde à Rome en 1994. Cela a été le début de l’aventure.
Qu’est-ce que ton parcours t’a appris de la performance ?
Mon problème était le décalage entre mon niveau affiché à l’entraînement et mes résultats en compétition. J’avais réussi à inverser radicalement ce constat à la fin de ma carrière. Aujourd’hui encore, Je me rends compte encore que certains des nageurs arrivent à performer à très haut niveau en compétition, un niveau même surprenant au regard de ce qu’ils proposent à l’entraînement, et puis il y a aussi le phénomène inverse, ceux qui performent plus à l’entraînement qu’en compétition.
Et prendre conscience que tu pouvais être plus performant en compétition qu’à l’entraînement. C’est quand même étonnant ? Est-ce que justement à force de s’entraîner on n’en oublie pas l’objectif de compétition ?
A quoi c’était dû ? Je pense que c’était lié à mon éducation. Ma mère est une anxieuse, et m’a transmis son anxiété. Avec le recul, je ne prends pas cela comme quelque chose de négatif, mais il y avait quelque chose qui relève de la transmission de la part de ma maman, quelque chose de fortement ancré en moi à mes débuts. Il m’a fallu comprendre d’où venait cette anxiété, que je la pose en mots pour mieux la gérer et trouver des solutions.
C’est en se tenant au plus près des accidents de l’existence, des péripéties biographiques, des circonstances vécues, des rencontres de toutes espèces, qui peuvent être les plus simples, mêmes imperceptibles, que la performance ouvre sa voie.
L’ART D’ENTRAÎNER. Tant de chemins !
Je crois vraiment que l’éducation, la base de l’éducation d’un athlète est centrale dans le plan de carrière d’un nageur. L’athlète n’en a pas forcément conscience mais à force de tenter de comprendre comment il procède, ce qu’il veut, comment il le veut, et comment il doit s’y prendre, il est nécessaire de prendre appui sur des ressources externes qui lui conviennent. A condition que cela aide l’athlète à mieux se trouver en lui-même et non pas envisagé comme une béquille qui éviterait à l’athlète de se poser la question de qui il est.
Parfois, souvent le danger est là. De nombreux athlètes demandent de la préparation mentale sans réellement s’engager dans un processus de transformation
Oui, mais pour résoudre son problème, il faut souvent être accompagné pour d’abord l’identifier puis tenter de le résoudre. Plutôt que de considérer qu’il s’agit d’un problème mental qui porte une connotation négative, je préfère la démarche d’optimisation de sa personne, de son potentiel. Dire : je peux optimiser mon potentiel, c’est positif.
« Optimiser » dans le sens « optimal » suppose de se décoller de soi pour savoir qui on est. Quand tu es gosse, tu es enfermé dans un espace qui fait que ta vision et tes représentations sont comme ça. Ce n’est pas facile. Moi, il m’a fallu du temps et une aide extérieure. Par étape. Claude m’a aidé énormément à me remettre en cause. J’ai une histoire avec lui vraiment singulière. Il n’y a pas longtemps encore, je lui ai dit que notre rencontre avait changé ma vie. Il m’a permis aujourd’hui de faire ce métier-là, d’obtenir le professorat de sport, chose que je n’aurais jamais pu imaginer, compte tenu de mon parcours scolaire. Je n’étais pas bon à l’école. Ça ne m’intéressait pas. Quand j’avais un prof qui m’intéressait, je devenais bon. Mais je n’ai pas eu beaucoup de chance d’en trouver.
Est-ce que tu penses que dans ton métier d’entraîneur aujourd’hui, tu arrives à intéresser des gamins ?
Je pense oui, j’espère. En tout cas, le retour que j’ai, est que je ne laisse pas indifférent. Si je dois faire mon autocritique, je peux être très directif dans ma conception de la performance et du haut niveau, je suis en fait directif parce que j’accorde beaucoup d’importance au travail à niveau d’exigence élevé. Je pense cependant que je suis devenu un peu moins directif. Mais, est-ce qu’on peut être différent dans le haut-niveau ? C’est une bonne question. En tout cas, je n’ai pas peur de dire les choses, provoquer la rencontre, tout en étant « bienveillant mais sans complaisance ». C’est en moi, chevillée au corps, la valeur la plus importante. C’est le socle sur lequel je m’appuie : « bienveillant sans complaisance ».
J’aime, au degré qu’il faut, tous les athlètes de l’équipe de France, même ceux qui m’embêtent, même ceux qui ne sont pas faciles, … et c’est souvent les meilleurs. Les athlètes « pas faciles » se révèlent souvent avoir un gros caractère de grosses qualités. Il ne faut pas leur dire. Par contre, ce n’est pas pourtant que je ne vais pas leurs dire qu’ils se trompent. C’est la base de la relation. La relation Entraîneur/Manager – Athlète, elle est essentielle. Il n’y a rien de pire que le Non-dit. Lorsque tu as le sentiment que certains athlètes ne mettent pas tout en œuvre à la réalisation de leur projet de performance, alors qu’ils te disent qu’ils mettent tout en œuvre, il y a du Non-dit. Ils savent très bien ce que j’en pense.
Ce sentiment est révélateur d’un décalage de représentation des exigences nécessaires pour accéder à la très haute performance. Si vous êtes d’accord sur les objectifs, il est indispensable que vous soyez en phase sur le niveau d’exigence nécessaire et de le préciser. Et lorsqu’il y a un décalage trop important entre vos visions et la charge d’entraînement indispensable au regard de la discipline et de la concurrence, cela devient compliqué pour l’entraîneur.
Oui, au final cela finit par :
« Ok, de toute façon c’est toi qui fait ! » De toute façon, je ne peux pas faire à ta place, et encore j’aimerai bien encore pouvoir le faire. Parce que si je suis avec toi, c’est que je crois en toi. Je te porte de l’intérêt, je porte de l’intérêt à ton projet, mais avec mon expérience, mes connaissances… et je te dis que tu te trompes. Si tu es convaincu du contraire, prouve le moi (par les faits). Mais moi, je te dis que je n’y crois pas. Pourquoi je suis ton entraîneur ? Parce que tu me fais confiance et que l’on a scellé un pacte. Parce que j’ai une longue expérience et une expertise du haut-niveau qui m’autorise à te dire cela, et cela relève de ma responsabilité de te dire mon point de vue. C’est une question de respect et d’éthique. Après, même si on n’est pas d’accord, ce n’est pour autant que je ne vais pas t’accompagner. »
L’intérêt est dans la confrontation de points de vue. Il peut y avoir un écart entre les convictions de l’athlète et celles de l’entraîneur. C’est de cette confrontation que le projet va prendre forme, que les objectifs prioritaires vont émerger pour avancer des hypothèses sur la façon dont vous allez vous y prendre.
Oui, oui, ce qui était paradoxal cet été, c’est que moi, j’ai tout donné aux athlètes sachant qu’ils n’étaient pas à l’image , au niveau d’exigence de ce que je souhaitais. C’est ça en fait notre rôle. C’est que tu as des athlètes qualifiés aux JO, ils représentent la France, le drapeau, l’équipe de France, c’est quelque chose que m’ont donné mes parents. C’est important. En parler m’en donne des frissons. C’est fort.
Ok, il est qualifié, il n’est pas à l’image de ce que je souhaiterais, de l’image que j’ai de ce qu’est un athlète de haut niveau, mais il est là. Ils sont là, qualifiés aux JO. Donc ma responsabilité de l’équipe olympique, c’est de les accompagner.
De retour de Tokyo dans l’avion, je me suis dit que l’on aurait pu faire largement mieux. J’en suis certain. Mais moi dans ma fonction, je peux me regarder dans la glace et il n’y a pas eu un moment où je me suis dit, allez basta, ils se débrouillent. Au final, on n’a pas eu de breloques alors que cela faisait 7 ans que l’on avait toujours eu des médailles aux championnats internationaux.
Il est vrai que la performance s’évalue à la breloque, mais il faut regarder aussi les cinétiques des courbes de résultats. Il y a peut-être conjonction d’évènements, par définition imprévisibles (il n’y a pas de performance sans évènement) et le fait de dire j’ai « tout fait » pour réussir est toujours dangereux. Qu’il y a-t-il dans ce tout ?
Il y a le « tout » et aussi le « fait ». Oui il faut savoir ce que tu mets derrière le verbe faire. Si le « tout » et « le faire » ne sont pas clarifiés, chacun peut mettre ce qu’il veut. Pour toi peut-être que « le faire » est 10 % de ce que je mets derrière ce mot, et pour d’autres cela va être 150% par rapport à ton 100% à toi. Donc c’est bien une histoire de représentations. Et qu’est-ce que tu en fais du « fait » (de ce qui a été fait).
L’Entraîneur/Manager est un perfectionniste, il est toujours en quête d’absolu. Bien sûr c’est un leurre, mais c’est un moteur essentiel. Et l’entraîneur travaille dans un univers à qui il donne beaucoup. Beaucoup. Beaucoup.
Dans l’environnement du nageur d’eau libre qu’est ce qui a changé depuis 1992 ?
L’argent, …
L’accompagnement et l’argent, …
L’expertise, le niveau …
On a tout élevé, mais l’argent est un élément essentiel.
Certains athlètes, gagnent très bien leur vie. Même en eau libre.
L’argent ça dépend pour qui, ça dépend pour quoi. Quel est le projet ? Certains nageurs qui sont exceptionnels n’en n’ont pas énormément et d’autres, toujours exceptionnels, en ont quand même pas mal.
Mais la question essentielle reste l’implication. Il y a ceux qui s’investissent, pleinement impliqués dans leur métier d’athlète de haut niveau, parce que c’est un métier, même si en fait ce n’est pas reconnu ; et puis il y a les autres qui font croire qu’ils sont dans une logique de haute performance en essayant de durer le plus longtemps possible comme s’il s’agissait d’une rente de situation…
La notion de triple projet me gêne toujours en peu, Sportif, Scolaire et Personnel. Mais en fait, c’est trois en un. On ne peut pas dissocier chaque projet de la globalité de sa vie.
Comme si l’on pouvait fonctionner différemment selon les projets, ce n’est pas possible, c’est pour cela que j’encourage chaque athlète à construire et organiser sa vie. « Organise ta vie, construit ta vie ! »
Le rôle de l’Entraîneur/Manager relève d’une forme de compagnonnage pour aider les athlètes à se réaliser dans leurs performances. Les compétences développées dans une démarche de haut-niveau leur serviront tout au long de leurs vies.
Pour moi, le compagnonnage est central. Mon parcours de vie a été alimenté par des rencontres décisives avec des gens extraordinaires. Notamment, Pascal Lemaire a été mon premier entraîneur qui m’a lancé et donné l’envie (et avec lequel je suis toujours en contact), Claude Fauquet également qui m’a vraiment aidé à monter en compétences, et puis Philippe Lucas que je connais depuis 25 ans et avec lequel je travaille depuis 7 ans. C’est dur le travail avec Philippe, très dur. Peu de nageurs arrivent à tenir dans le temps avec lui sur un tel niveau d’exigence mais cela est nécessaire et incontournable. Le décalage entre la représentation des exigences de l’Entraîneur/Manager et celles de l’athlète peut créer des tensions. Et je pense certaines tensions sont souvent bénéfiques pour nous amener, les uns comme les autres, à opérer des changements.
Dès que l’on touche le très haut-niveau, cela devient un métier pour l’athlète. Et ton métier, tu le fais plus ou moins bien, comme tout corps de métier d’ailleurs. Ce qui n’a pas changé, c’est qu’il y a des gens qui s’investissent complètement et qui n’ont peut-être pas les bonnes qualités mais qui ont des gros résultats, mais également des gens qui ont des grosses qualités qui s’investissent moins et qui ont également de gros résultats.
Parmi eux, certains se détournent de leurs clubs parce que l’herbe est toujours plus verte dans le champ à côté. Leur choix devrait être déterminé par leur projet sportif, la qualité de l’entraîneur, le niveau d’exigence demandé, et non pas en fonction de l’argent…
Notre responsabilité est quand même de remettre l’église au cœur du village (en rappelant les principes de la performance ndlr). Et je suis gêné lorsque je vois l’article dans libération titré « Pour de l’or, il faut de l’argent ». Le président Macron avec un tee-shirt de sport. J’avais des nageurs aux Jeux qui gagnaient deux fois mon salaire et qui n’étaient pas pro. L’argent oui, mais sous contrat. Il faut contractualiser (sur le projet). Quand tu es à l’Olympique Lyonnais et que tu ne vas pas à l’entraînement, tu as une sanction, immédiate. Quand tu es un athlète de haut niveau, dans mon sport, et que tu ne vas pas à l’entraînement, il ne se passe rien. Juste, il ne se passe rien.
Toi, entraîneur, toi directeur de la Performance, tu as beau dire que tu n’es pas content ; mais à la fin de mois il ne se passe absolument rien.
C’est un manque de respect dans le contrat moral que vous avez eu. Une rupture avec tes valeurs, ton éducation.
Complètement. Ce sont des valeurs de vie. Moi je veux bien qu’il y ait plus d’argent pour les athlètes, plus d’argent pour les entraîneurs, managers…. Bien sûr que l’argent est important. Mais il faut bien « un rendu » au regard d’un projet de performance. C’est ce que tu fais toi, c’est ce que je fais moi, c’est ce que les gens font à l’usine, …
Le niveau de haute performance est tellement élevé aujourd’hui que l’on est obligé de contractualiser.
Et lorsque, il y a manquement, c’est un manque de respect de l’athlète vis-à-vis de lui-même mais également par rapport au staff de l’équipe de France, de la fédération, de son engagement dans le collectif France.
La contractualisation sur un projet de performance demande d’y passer du temps. Qu’est ce qui s’est passé ? comment tu vois les choses ? Sur quoi tu t’engages ? Lorsqu’il y a un écart entre l’engagement du nageur et ce qu’il fait, c’est plus facile de venir sur le sujet. On s’était dit que …. Et c’est écrit.
La contractualisation est également essentielle pour l’entraîneur, dans son métier d’entraîneur. Parce tous les entraîneurs veulent amener des nageurs aux compétitions internationales et aux JO. Et si leurs athlètes ne réalisent suffisamment de performances significatives, les entraîneurs perdront leurs statuts et resteront à quai des équipes de France. On en arrive parfois à des situations où les entraîneurs avalent des pinceaux en validant des demandes infondées d’athlètes, illogiques dans le mécanisme du haut niveau, parce qu’ils craignent que leurs nageurs aillent voir ailleurs.
C’est pour ça que la contractualisation ne doit pas uniquement être élaborée avec l’athlète et l’entraîneur, elle doit être multipartite en associant également le Directeur de la Performance, la Fédération. Cela suppose en amont que l’on soit d’accord sur le projet, de façon à toutes les parties puissent se mobiliser dans leurs champs de compétences pour résoudre des difficultés, difficultés inhérentes au haut-niveau.
Cela suppose de travailler sur la gouvernance. C’est la question de « qui décide ? ». Mais on n’a pas encore décidé qui décide. La gouvernance n’a pas été clarifiée. Ce déficit est un problème majeur dans la plupart des fédérations.
Entraîneur est un métier très difficile. Du fait de la diversité de leurs statuts et des missions prioritaires qui dépendent de leurs employeurs. Mais également du fait qu’ils sont confrontés en permanence à l’humain ainsi qu’aux contingences propres à l’évènement compétition lequel se caractérise par son caractère imprévisible.
Lorsque ses nageurs ont des résultats, l’entraîneur est mis en lumière. Cela lui permet d’être un peu plus valorisé au plan de sa notoriété et de sa capacité à monnayer ses compétences. Mais si demain l’entraîneur n’as pas de bons résultats, la presse, la vindicte populaire dira qu’il est un mauvais entraîneur.
J’ai une belle expérience là-dessus. On m’a demandé en septembre 2015 de prendre la direction course en plus de l’eau libre. Parce que le Directeur de la Natation Course partait. J’ai refusé à plusieurs reprises, et puis j’ai dit oui à un moment donné, pour plusieurs raisons.
J’avais en fait une image très positive de ce que je faisais en eau libre, c’est pour cela que plusieurs entraîneurs (nationaux) de la Natation Course m’ont demandé de venir. Ils disaient que j’avais une légitimité. Six mois plus tard, ces mêmes entraîneurs étaient très critiques envers moi, alors que je ne maitrisais pas beaucoup de choses ; et en réalité je disposais de peu de liberté dans les prises de décision.
A la fin des jeux, cela a été un peu un fiasco, en dix mois j’avais une image très négative. Un an plus tard, on cartonne aux championnats du monde, de nouveau j’ai eu une image très positive. En 18 mois, je suis passé de l’image très positive d’un mec qui fait performer, à quelqu’un qui est en dessous de tout, puis à quelqu’un qui fait performer.
C’est pourquoi dans ces situations, c’est hyper important d’avoir le soutien de la Fédé et de la DTN. Le parcours des entraîneurs qui ont raflé les médailles en Sport Co n’a pas été un long fleuve tranquille. Avant de gagner, ils ont tous été en grande difficulté et mis sur la sellette, à commencer par Claude Onesta, lorsqu’il était sélectionneur de l’Équipe de France avant de devenir le big boss de l’ANS. On peut aussi parler du hand féminin avec Olivier Krumbholz qui s’était fait jeter par certaines joueuses avant d’être rappelé à la commande et remporter la médaille olympique à Tokyo. Comme de Laurent Tillie sélectionneur de l’équipe de France de Volley-Ball malmené par certains spécialistes pour avoir pris une position soft suite à altercation physique entre deux joueurs de son équipe.
Je pense également à Ugo Mola, entraîneur de Rugby à Toulouse. Même certains joueurs disaient qu’il ne valait rien et qu’il n’avait pas d’autorité. Même les supporters avaient demandé sa tête.
Tout ça pour dire que quand tu prends la responsabilité d’une équipe, il est nécessaire d’avoir du temps, pour observer, s’adapter, ajuster, créer un collectif, développer une stratégie, définir une gouvernance adaptée au projet de jeu… L’entraîneur est amené à faire des choix permanents, et donc à faire des paris, que ce soit la sélection des joueurs, les choix tactiques… et ces paris peuvent être gagnants ou perdants. « J’ai bien une mille vies et je n’en ai pris qu’une » titre d’un remarquable écrivain néerlandais, Cees Nootboom.
Ce qui important pour la performance est d’avoir le soutien du président et du DTN,
Oui c’est fondamental. La nature humaine est redoutable pour célébrer ou disqualifier un Entraîneur/Manager.
On ne se rend pas compte du mal que cela peut faire. Je n’ai pas peur de le dire, après Rio je me suis fait accompagné et j’ai suivi une formation en management qui m’a beaucoup appris. Entre la gestion des nageurs et des entraîneurs à Rio, et encore les nageurs c’était facile, mais la disqualification d’Aurélie Muller, la médaille positive de Marc Antoine Olivier, la déception de Florent Manaudou qui termine deuxième à 1 centième alors que s’il avait réalisé le temps des demi-finales il aurait été champion olympique, le relais français qui fait deuxième alors qu’il était Champion du Monde et puis tous les autres problèmes externes. Je peux dire que c’était enrichissant aujourd’hui parce que j’ai travaillé sur moi. Il y a toujours quelque chose de positif dans des situations que l’on trouve négatives. Mais si je n’avais pas fait ce travail personnel, de mon côté et avec la fédération, cela aurait été très compliqué. Selon mes besoins (pendant 5 ans, je ne l’avais pas contacté), je me fais accompagner par une personne de confiance depuis 1995 .
J’en parle facilement parce qu’aujourd’hui je suis plus fort qu’il y a dix ans, par rapport à ça.
Ce sujet n’est pas toujours facile à aborder avec de nombreux entraîneurs, peut-être par crainte de laisser paraître un certain sentiment de fragilité aux yeux des autres. Cela paraît très difficile d’y arriver seul. Comme en psychanalyse, il faut trouver un levier et identifier un point d’appui. Ce besoin d’une aide extérieure est nécessaire pour éviter de se retrouver comme le baron de Münchhausen, lequel, pris dans le marais, tire sur sa perruque pour se sortir de l’eau.
La question qui est centrale pour moi est : « Comment je peux optimiser ce que je fais ? «
Et pense que l’on peut toujours mieux faire, à condition de se remettre en question et d’être toujours en mouvement. Cette question est restée toujours la même depuis que j’ai été nageur.
Bien sûr que c’est difficile d’avoir toujours le sentiment de se débattre dans des sables mouvants. Mais c’est le cœur de notre métier. C’est un métier de relations humaines. Et tu redécouvres à chaque fois cette incroyable capacité humaine à évoluer, à trouver des solutions parfois improbables. Je l’ai d’abord expérimenté dans mon corps de nageur, cette capacité à aller au-delà de ce que l’on pense de nos propres limites. Et je l’ai encore vécu récemment dans l’aventure à Titicaca, … Vouloir accéder à la haute performance est très dur. Cela nécessite de nous affranchir des représentations de nos propres limites. Très souvent on est prisonnier de ses affects. Pour les athlètes comme pour les entraîneurs, il est essentiel de réussir à comprendre nos propres fonctionnements.
Comme avant le début d’un concert, on attend d’abord le temps du silence. Comme si la performance devait s’inscrire dans une antériorité silencieuse. Ce n’est pas le silence autour de soi, qui est toujours nécessaire, mais le silence en soi. Et c’est lorsque ce silence s’installe, que l’entraîneur arrive à l’activer en le faisant vibrer par une attitude, un geste, une parole. « Les mots qui montent du silence. Quand la source embrase l’œil. Que je passe de la rocaille à la braise. 18 », ose le poète Charles Juliet.
L’ART D’ENTRAÎNER. TANT DE CHEMINS !
C’est pourquoi, Il est important de connaitre l’histoire de ses athlètes. Qui sont-ils ? Comment ils s’organisent ?, … et selon, tu choisis les mots en fonction de chacun, selon le contexte, les situations, et parfois tu te dis que cela ne sert à rien de parler. Parfois, être silencieux, c’est aussi parler. Selon les circonstances, les silences en disent parfois plus que les mots. La condition première est de créer une confiance mutuelle entre les nageurs et leurs entraîneurs. Chaque entraîneur est comme il est. Pour certains la porte d’entrée sera d’abord la charge travail, pour d’autres, l’approche sera plutôt qualitative. L’important au final est que l’athlète ait confiance.
Une confiance réciproque, C’est la base de tout. Lorsque la confiance est écorchée, écornée, ça ne sert à rien de parler parce qu’il n’y a pas de réception de la parole…
Parce que quand il y a une véritable confiance tu peux dire vraiment les choses « sans concession mais avec bienveillance« . Bien sûr que ça peut faire du mal, parce qu’il y a parfois des choses dures à entendre. Et certains athlètes ont tendance à se mettre en retrait, parce que tu dis des choses qui ne leurs ont pas plu. D’autres se remettent plus facilement en question.
L’entraîneur tente de trouver des portes d’entrée, des points d’appuis pour percer le coffre-fort de la singularité de l’athlète et de son groupe, pour faire émerger les conditions uniques de la performance à venir. En fait, pour trouver et exploiter des pistes auxquelles on ne songeait pas, il est nécessaire de s’y prendre de biais. Le terme est opératoire. On cessera, enfin de laisser l’esprit glisser sur la paroi trop lisse de nos représentations familières pour trouver un point d’ancrage et un point d’appui pour avancer.
L’ART D’ENTRAÎNER. TANT DE CHEMINS !
Là, où les choses se compliquent, c’est lorsque l’athlète ne veux pas ou ne peux pas entendre ce que tu as à lui dire. Lorsqu’un nageur est en difficulté, n’a pas de résultats, il est fragilisé par la situation. Plutôt que de se remettre en cause, il est tentant d’aller voir ailleurs. Et puis dans cet univers redoutable, un nageur à fort potentiel qui est en difficulté ou dans le dur et qui se pose des questions, devient une proie facile pour des entraîneurs ou autres… qui veulent valoriser leur ego, en tenant un discours extrêmement positif auprès de ce nageur sur ses potentialités. Mon éthique personnelle m’amène souvent à dire des choses parfois difficiles à entendre et à accepter.
Tant d’athlètes se mentent, ou s’obligent à poursuivre avec acharnement un but contraire à ce qu’ils sont, ou s’infligent de véritables tortures pour tenter de devenir autres, se conformer à une certaine image d’eux-mêmes, ou s’imposent des contraintes au sein desquelles ils étouffent, ou bien encore se refusent à voir ce qui impérieusement les motive. Chez ces athlètes, c’est souvent le corps qui en s’effondrant sonne l’alarme, leur révèle qu’ils doivent prêter attention à ce qu’ils s’efforcent de ne pas voir, et peut-être partir sur d’autres chemins. Désirer s’échapper d’une situation oppressante et partir voir ailleurs. C’est en partant ailleurs qu’ils pensent résoudre leurs problèmes. Or si sa problématique et/ou si le nouveau projet n’est clarifié en amont, ces nageurs reproduiront la même chose avec un nouvel entraîneur, un nouveau club.
En tant que Manager du haut niveau, ce que je veux, c’est qu’ils s’entraînent avec des entraîneurs de haut-niveau. Après le 10 km des JO, Marc Antoine Olivier cherchait un « Entraîneur » pour la prochaine Olympiade. Je lui ai dit : « Retourne t’entraîner avec Philippe Lucas, c’est simple, c’est ce qu’il y a de plus simple. Il m’a répondu : « Non je ne peux plus« .
Après il n’y en avait pas 15000 qui pouvaient l’entraîner. Mais c’est à lui de faire son choix : « Où veux-tu aller ? Mais, ne te mens pas. Parce que s’est avant tout, toi, qui va changer les choses. Tu peux faire ce que tu veux mais tu sais très bien ce qui n’a pas été. » On en a souvent parlé avec Marco. Il le sait très bien, donc : « Organise ta vie pour devenir Champion Olympique. Tu ne dois pas être la personne qui peut être champion Olympique mais la personne qui se construit pour le devenir. La solution est en toi, pas en dehors de toi.«
Dans le milieu de la haute performance, il ne faut pas se cacher, il y a aussi une forte concurrence entre les entraîneurs qui souhaitent avoir les meilleurs nageurs dans l’espoir de rejoindre l’encadrement des équipes de France et valoriser leurs talents.
Cette concurrence peut être saine dans le sens où elle exige que chaque entraîneur innove, prenne des risques, affiche une certaine singularité. Mais cette concurrence peut également s’avérer contre-productive dans le sens où les entraîneurs qui ont une certaine notoriété, ne sont pas toujours dans une réelle dynamique de partage avec les autres entraîneurs, même s’ils disent parfois le contraire. Et cela peut s’avérer un réel frein pour créer une dynamique France. C’est donc important que l’entraîneur puisse se projeter dans l’avenir avec une certaine sérénité.
Si l’entraîneur est stressé par son statut précaire et sa vie, il est évident que cela impactera la relation avec ses athlètes et sa famille.
Ça, s’est un sujet essentiel dont on parle peu entre nous. Il est nécessaire de rassurer et de valoriser les entraîneurs. C’est un point important qui a été identifié par l’Agence Nationale du Sport, notamment à propos de la rémunération des entraîneurs. C’est un métier stressant qui exige une implication totale. Avec le risque de ne pas être suffisamment présent avec sa famille, ses enfants… et s’est super important que la famille puisse se réunir, prenne du plaisir ensemble. En ce qui me concerne j’ai été absent de chez moi 150 jours en 2021. Ça peut rajouter du stress sur un métier qui l’est déjà.
Propos recueillis par Francis Distinguin